Heureux les pauvres

Artiste inclassable, Marc Nammour a toujours œuvré pour le mariage de la carpe et du lapin, c’est-à-dire pour l’union de la chanson française et du rap, en cherchant à créer un genre inéprouvé qui échapperait aux cases et aux ghettos avec des textes travaillés, de l’audace musicale et de la consistance.

Pour vous démontrer de quelles fulgurances il est capable, Marc Nammour a choisi de s’entourer des trois loulous de son groupe La Canaille et de Loïc Lantoine, un écorché vif qui aime à dire qu’il fait de la chanson pas chantée (mais qu’est-ce que le rap sinon cela : de la chanson pas chantée ?). Sur une ambiance musicale riche en sonorités urbaines, deux verbes se croiseront donc pour porter, tel un étendard, une parole poétique ancrée dans le réel, gorgée d’humanité et soucieuse de rendre hommage aux « petites gens », que l’un et l’autre considèrent, à juste titre, comme des héros ordinaires...

Fiers et tremblants, donc. Soit. Mais de quoi Marc et Loïc sont-ils fiers ? De leurs origines sociales modestes, du long chemin parcouru, de préférer la main tendue au poing fermé et de savoir reconnaître la beauté partout où elle se niche. Et de quoi sont-ils tremblants ? De leurs incertitudes, de leur extrême sensibilité, de leur vulnérabilité : des mots qui, à l’ère jupitérienne, sonneraient presque comme des aveux de faiblesse. En ces temps qui nous veulent robustes et dotés du regard d’acier du gagnant, Fiers et tremblants rendra donc gloire aux perdants et aux losers magnifiques : à nous tous, en somme, « quand nous devenons enfin disponibles, à certaines heures pâles de la nuit, près d’une machine à sous », comme le clamait si bien Léo Ferré...

Un projet ambitieux, inclassable, intimiste, d'une grande richesse musicale et d'une acuité politique tout en subtilité.   

Ferarock