À l’ombre de soi-même
Dans sa cellule de quelques mètres carrés, un sexagénaire condamné à vingt ans de réclusion reçoit quasi quotidiennement la visite du médecin de l’établissement pénitentiaire, une jeune femme à qui il parle du monde qu’il s’est façonné pour échapper à sa pauvre condition : un monde virtuel, bien sûr, et hanté, allez savoir pourquoi, par la figure de Marlon Brando et par l’atoll de Tetiaroa (cet ensemble de treize îlots situé au nord de Tahiti que l’icône planétaire avait acquis et transformé en un lieu de vie édénique avant que des ouragans, manque de chance, ne le détruisent entièrement).
Tel est le point de départ de cette pièce qui n’en est pas vraiment une - mais plutôt une « performance dramatique » dont l’auteur Enzo Cormann lui-même, micro en main, sera le « diseur » ou le « récitant » pendant qu’un musicien bidouillera en direct des sons électroniques amplifiés et qu’un vidéaste pilotera à vue des images sur deux écrans bordant le plateau...
Ce qui sera bouleversant dans cette expérience littéraire et sensorielle, c’est que, au fur et à mesure qu’Enzo Cormann « phrasera » son texte, que le continuum sonore emmaillotant sa voix s’affranchira du bruissement pénitentiaire pour se faire musique et que les images figées ou animées bombarderont l’espace de jeu pour y tracer d’éphémères lignes de fuite, vous pénétrerez dans le cerveau du détenu - et ce, d’autant plus facilement qu’il n’y a pas plus de médecin que de beurre en broche et que la jeune femme supposée l’écouter, c’est vous. Dès lors, rien ne vous empêchera d’accoster, avec lui, sur l’atoll caché au fond de nos geôles communes...