« ALIVE » : comme un cri viscéral, un leitmotiv, un appel. Dans le travail de Lydie Jean-Dit-Pannel, le désir de vie prend la forme d’un art manifeste qui milite pour toujours être une lutte contre la mort , un moyen de congédier l’apathie, l’oubli et la destruction. L’artiste n’en laisse pas le choix. Ses formats saturent l’espace, ses couleurs éclatent à la rétine et ses motifs se répandent de façon obsessionnelle, réveillant les sensations pour mieux éveiller les consciences. En réponse à la crise globale du vivant, devenue marqueur de notre époque, elle oppose les formes-affects d’un art pensé à vif qui exprime une pure urgence à être.
Face aux politiques de l’indifférence et au déni général qu’elles causent, Lydie Jean-Dit-Pannel sonne l’alerte. Ses projets sont ainsi motivés par le besoin de rendre visibles les ennemis du vivant, de la biosphère et des écosystèmes, qu’elle cible la menace du danger nucléaire, la pollution spatiale ou l’extinction massive de la faune. À travers l’emploi d’un vocabulaire plastique simple et le recours à une iconographie populaire, empruntée au cinéma américain, à la mythologie grecque ou à l’imagerie de cartes postales, elle délivre des messages immédiatement lisibles, aussi directs qu’un coup de poing, qui sollicitent notre empathie tout en nous sommant de répondre : qu’a-t-on fait pour empêcher la détresse des animaux qu’on enferme dans les zoos ? Comment en est-on arrivé à tirer une jouissance esthétique des images de l’effondrement du monde ? Vers quel ailleurs regarde-t-on alors qu’on sait que la maison brûle ?
La vie a chez elle un visage, celui de la créature ailée, qui prend les traits d’un oiseau ou du personnage de Psyché. Cet alter-ego, qui sillonne le monde à la recherche de son amant Eros, le même que Freud identifie à la pulsion vitale, exprime toute l’ambiguïté de son sentiment existentiel : on peut aimer la vie jusqu’à s’y perdre. Échouée sur les paysages pollués par l’énergie atomique ou contaminés par la toxicité idéologique, Psyché est une amoureuse passionnée et déçue qui veut y croire tout en se sachant trahie. Incarnation céleste, figure-papillon, elle laisse ainsi bruisser ses ailes auprès des oiseaux qui tantôt chantent en chœur, tantôt appellent à l’aide. Portant le deuil de sa sœur chouette, qui lui donne un dernier baiser, ou vent debout aux côtés du geai qui, de son cri râpeux, défie les intrus, Lydie Jean-Dit-Pannel a le cœur volatil et l’envie rageuse de prendre son envol.
Alors survivre, ou vivre deux fois : comme on persévère dans l’être quand la mort vous guette, comme on redouble de force pour rendre la vie plus intense. Entourée de ses héroïnes et de ses fantômes, Lydie Jean-Dit-Pannel pratique le plus-de-vie, la dépense de ses énergies en excès, pour prévenir de l’imminence de la catastrophe et de la possibilité du pire. Marcher sans but, éprouver son corps dans l’action pure et solitaire, relève alors pour elle de l’acte vital : Nowhere est son futur, et peut-être aussi le nôtre.
Florian Gaité
1 La formule est d’André Malraux reprise par Gilles Deleuze dans sa conférence « Qu’est-ce que l’acte de création ? » (La Fémis, Paris, 1987).