L’art né des ombres

Technicien du son oeuvrant dans le milieu du spectacle, Julien Leguay s’est retrouvé, comme tous ses collègues, sur la paille pendant le confinement. Il a alors pris conscience, non sans une pointe d’amertume, de la profonde vacuité de son travail - parce qu’un technicien du son, comme un régisseur lumière ou un assistant plateau, ça ne nourrit pas les gens, ça ne soigne pas les malades et ça ne débarrasse pas les rues de leurs sacs d’encombrants...

Une idée germe alors dans son esprit : pourquoi ne pas fixer sur le papier et exposer à la vue du monde (parce que Julien Leguay est aussi photographe à ses heures) les tronches de celles et ceux qui, en temps normal, s’agitent anonymement dans les coulisses ou derrière les régies et qui, en temps de crise sanitaire, renvoyés à leur superfluité sociale, ne s’agitent plus du tout ?

Ce sont donc les visages de tous ces intermittents, de tous ces permanents de structures culturelles, de tous ces employés municipaux affectés au bon déroulement des manifestations artistiques de votre ville qui émailleront les murailles de l’Espal. Des visages ou plutôt des « gueules », sur lesquelles se devinent des vies lourdes, opiniâtres, toujours denses et parfois tragiques, saisies sans expression particulière mais dans un remarquable clair-obscur - des gueules qui, avec leurs regards dans lesquels vous pourrez vous noyer, leurs rides que vous pourrez lire comme des lignes d’écriture et leurs lèvres qui vous confieront des flopées d’histoires malgré leur mutisme apparent, formeront une constellation d’étoiles filantes dont le propre est de scintiller, de leur chatoiement doux et éphémère, dans la nuit, avant de disparaître...