Les Quinconces L'espal - Scène nationale du Mans

Lignes vives... entre Pauline Sales et Magali Mougel

Les Inspirantes

 

 

Ces lignes sont une esquisse, comme l’envie de tracer des chemins en relief, par touche, dévoilant deux itinéraires d’artistes, d’autrices, de femmes, celui de Pauline Sales et de Magali Mougel.
Pour ce portrait croisé, nous leur avons posé des questions communes qui sillonnent leur trajectoire intime, celle de l’enfance, de la recherche de sa voie, de l’exploration de la création, de la lutte pour le droit des femmes, de l’expérience de la maternité, du regard vers demain…
Leurs réponses en écho donnent à entrevoir qui elles sont, à travers des dates marquantes elles nous livrent ce qui les a nourries et éclairées mais aussi ce qui les porte, les inspire artistiquement, politiquement, dans leur quotidien.

 

Pour faire connaissance, voici un mot à propos de chacune d’elles :


Pauline Sales est comédienne, dramaturge et metteuse en scène. De 2009 à 2018, elle a codirigé Le Préau, Centre Dramatique National de Normandie. Depuis 2019, elle fait partie de la compagnie A L’ENVI. Vous découvrirez sa création Les femmes de la maison du 11 au 15 janvier au Théâtre Paul Scarron. 
 

Magali Mougel est dramaturge, diplômée de l’ENSATT. Elle a été enseignante à l’Université de Strasbourg dans le département Arts du spectacle. Elle a publié de nombreuses pièces et mène conjointement des collaborations artistiques avec des compagnies et structures culturelles. Son texte Suzy Storck, paru en 2013 aux Editions Espaces 34, sera joué sur la scène de L’Espal le mardi 19 janvier.

 

 

Un souvenir comme une alerte...
Un souvenir de l’enfance ou de l'adolescence qui vous a marqué, où vous avez senti/perçu/expérimenté qu’il y avait, sans justification ni raison, une différence de traitement, de regard, de jugement faite entre filles/femmes et garçons/hommes ?

 

Pauline :
1976 J’ai sept ans. J’aime être une fille. Je n’ai jamais souhaité être un garçon. Je trouve ça beaucoup plus intéressant d’être une fille. Je me dis que j’ai de la chance. Les garçons ne me semblent supérieurs en rien. Ils ont l’air plus simple. Je ne trouve pas très difficile d’avoir du pouvoir sur eux. J’ai deux amoureux. Je viens d’un milieu privilégié et d’une famille aimante. 
1983 J’ai 14 ans. Je commence le théâtre. C’est ça et rien d’autre. En sept ans de cours privés et de formation supérieure, je ne travaille que sur des textes d’hommes à part l’adaptation du journal d’Anne Franck. Il y a des rôles de femmes magnifiques, des langues vertigineuses, mais, de fait, beaucoup plus de rôles d’hommes et beaucoup de rôles de femmes qui sont des archétypes, voire des stéréotypes.

 

Une expérience comme une réalité...
Un événement personnel, à l’âge adulte, auquel vous avez pu être confrontée et qui a provoqué une formulation intime du problème politique de la lutte contre la violence du patriarcat.

 

Magali : 
Juillet 2020 : je formule pour moi-même ce constat : LA MEDECINE N’A PAS CONFIANCE ET NE VEUT PAS AVOIR CONFIANCE EN LE CORPS DES FEMMES. 
Cette phrase je me l’a dit pour moi-même lorsque j’entends une énième sage-femme dire : « Non, vraiment, vous n’y arriverez pas, c’est votre premier. »
Je m’en remets à la médecine, alors, non par choix.
S’ensuit ce sentiment d’être dépossédée de son propre corps et ce triste scénario de la surmédicalisation de l’accouchement, où même ça, ça n’a pas le droit de nous appartenir, cela doit rester l’affaire des experts.

 

Pauline :
1996 Ne pas être qu’actrice. Deviner que ça ne suffira pas. Certitude que très souvent ça ne correspondra pas. Tu ne correspondras pas. Ou que tu n’aimeras pas ce qu’on te dira qui te correspond. Ne pas pouvoir vivre différents devenirs en tant qu’actrice, tous ces devenirs possibles en tant qu’écrivaine. 
2000 et 2003 La maternité. Déchirement - on va dire banal, tellement dit et redit, et pourtant à juste titre - entre le travail, l’écriture, l’éducation (et dans les conditions privilégiées qui sont les miennes.) Ne jamais être là où il faudrait puisqu’il faudrait être ailleurs en même temps. Il y a là quelque chose, pour moi, d’indépassable. C’est là précisément où j’ai senti la différence entre femme et homme. Je ne fais pas de mon cas une généralité. 
2007 Appel de Reine Prat missionnée par le ministère de la Culture, pour me demander si j’envisagerais de diriger une institution. Je prends concrètement conscience du peu de femmes à la tête des lieux de culture. 
Je me présente en co-direction avec Vincent Garanger au Préau (centre dramatique national), pas par crainte de ne pas savoir diriger seule, par désir de travail en équipe, avec l’envie de conserver du temps pour les enfants, l’écriture, la vie. C’est illusoire. 
Il y a peu de temps pour tout, mais tout a lieu pourtant. L’aventure est incroyablement belle. Qui me laisse avec dix ans de plus et l’envie de prendre le temps.

 

Une parole comme une trace...
Une date à laquelle un propos a été tenu par une personnalité publique concernant les femmes vous ayant marquée (inspirée ou choquée)

 

Magali
En 2007, je finis mon mémoire de master en Arts du Spectacle. Il porte ce titre : Désincarcérer les corps – lecture des derniers écrits d’Antonin Artaud.
J’ouvre ce texte avec une citation d’Annie Le Brun : « C’est de la question de la représentation que dépend notre liberté. » Elle sonne comme un programme, un mot d’ordre. J’en fais une injonction pour l’écriture.

 

Pauline
2006 Le premier chapitre de King Kong Théorie de Virginie Despentes.
Une femme comme une incarnation…
Une figure féminine marquante, emblématique, charismatique qui tient une place particulière dans votre parcours de vie  

 

Magali
J’apprends à marcher.
Je veux dire je suis toute petite et j’apprends à marcher. Ma mère travaille beaucoup. C’est Paulette qui m’apprend à marcher. Elle m’accompagne. Paulette est une petite femme. Petite en taille seulement. Car Paulette s’est enfuie de chez elle, une nuit de neige, ses enfants sous le bras. Il fallait qu’elle sauve sa peau. Celle de ses enfants. 
Paulette à plus de 70 ans quand en 1983, je lâche sa main pour marcher seule. 

 

Pauline
Une femme comme une incarnation. Pourquoi une ? Je passe ma vie à en découvrir dans tous les domaines et de toutes les générations.
Juste quelques-unes pour le plaisir, mais la liste est bien plus longue et ne cesse de s’étendre et c’est déjà frustrant de faire un choix : George Eliot, Virginia Woolf, Colette, Germaine Tillion, Marguerite Duras, Marie-Luise Fleisser, Margarete Steffin, Asja Lacis, Toni Morisson, Joyce Carol Oates, Marie Ndiaye, Maylis de Kerangal, (écrivaines) Lou Andréa Salomé, Simone Weil, Silvia Federici, Anne Dufourmantelle, Françoise Verges, Maggie Nelson, Bell Hooks, (philosophes, penseuses) Louise Bourgeois, Germaine Krull, Judy Chicago, Miriam Shapiro, Kiki Smith, Berlinde de Bruyckère (plasticiennes)

 

Une avancée comme un poing levé...
Un événement marquant qui a fait avancer le combat pour le droit des femmes 

 

Pauline 
15 décembre 2017, La victoire, après quarante-cinq jours de grève, de femmes de ménage racisées qui obtiennent satisfaction sur différentes revendications contre la société Oten. 
Ces femmes, qui nettoient chambres d’hôtel et gares, ont entre quarante et cinquante ans, vivent en banlieue, loin de leur lieu de travail.

 

Une oeuvre comme une inspiration...
Une oeuvre (filmographique, photographique, littéraire, musicale…)  qui vous vient à l’esprit à l’énonciation du mot “inspirante”.

 

Magali
J’ouvre Le dictionnaire des amantes de Monique Wittig.
Nous sommes jeudi 3 décembre et dans quelques minutes je vais prendre la route pour retrouver mes compagnes de travail : Hélène Soulié et Marion Coutarel, pour continuer notre travail à la table sur le texte que j’ai écrit pour clôturer le cycle MADAM Manuel d’auto-défense à méditer inventé par Hélène.
Hier Hélène nous disait : « j’utilise le dictionnaire des amantes comme un Yi King ».
Elle le fait depuis que Rachele Borghi lui a partagé cette pratique.
Ce matin, j’ouvre donc le livre. Je n’ai pas de question, juste d’avoir une phrase pour orienter ma journée et la partager avec vous : 
Je tombe sur le mot FONDRE.
« Fondre : « je dois trouver un moyen de te faire savoir que je suis avec toi et que mes désirs ne sont pas séparés des tiens. Cette pensée à inciter mon corps à trouver le moyen auquel plus tard nous avons donné un nom. Nous l’avons appelé fondre. » (Isabel Miller, Patience et Sarah, Grand pays, Premier continent, âge de gloire.) »

 

Pauline 
Je n’ai pas de meilleure amie ou ami, de livre ou de film préféré, une œuvre définitive à emmener sur une île déserte. Je préfère le pluriel au singulier. 
Les derniers livres, films, qui m’ont inspirée, donnent envie d’écrire, de penser, de partager : L’abattoir de verre de Coeetze, Sur les ossements des morts d’Olga Tokarczuk, Un appartement sur Uranus de Paul B. Preciado, Kajillionnaire réalisé par Miranda July.


Un premier texte comme un premier geste...
La date de parution et le titre de la première oeuvre que vous avez écrite et qui offre votre vision de la condition féminine 

 

Magali
2013, c’est l’année d’édition de mon recueil Guerillères ordinaires aux Editions Espaces 34.

 

Pauline
2000 Je n’ai pas une vision de la condition féminine. J’écris des pièces de théâtres dans lesquelles évoluent des personnages dont beaucoup sont féminins et portent des problématiques dont certaines sont liées à leur sexe. 
Le Groenland, le troisième texte que j’ai écrit, est le monologue d’une femme qui questionne précisément en quoi son sexe a un impact sur ce qu’elle vit. 
Peut-on tomber malade d’être une femme, est sans doute une des questions que soulève ce texte.  

 

Une pièce comme un souffle...
Une représentation théâtrale à laquelle vous avez assistée et qui selon vous peut être reliée au qualificatif “inspirante”

 

Pauline
2019 Hors la loi de Pauline Bureau, qui retrace le fait divers puis le procès qui a conduit à la loi Veil pour la législation de l’avortement en France. J’ai surtout été saisie par les paroles de Delphine Seyrig, Simone de Beauvoir, Gisèle Halimi, Michel Rocard qu’on entend témoigner lors du procès.

 

Un futur comme un vœu…
Une date/ période à partir de laquelle, selon-vous, les discriminations et inégalités liées au genre ou au sexe cesseront d’exister ? (disons en France) (disons à une date plus ou moins lointaine…)

 

Pauline
L’avenir est indéchiffrable. Les moments présents en sont un bon exemple. On voit bien qu’il y a aujourd’hui un élan manifeste, ce qu’on nomme une convergence des luttes - on ne peut pas parler des discriminations de genre et de sexe sans parler de celles liées à la couleur de peau ni des inégalités sociales - mais comment allons-nous sortir de la crise sociale, économique, écologique que nous traversons ? 
Il serait présomptueux d’y répondre.

 

Un mot comme un horizon...
Pour finir, si vous deviez nous partager un mot qui, selon vous, ouvre l’horizon de l’égalité entre les femmes et les hommes, un mot qui encourage, emmène plus loin et souffle dans les voiles d’une liberté commune : quel serait ce mot ?
  

 

Magali
J’ouvre encore une fois Le Dictionnaire des amantes ce matin.
« Frontière : Les frontières ont toutes disparu en même temps, le jour dit de la poudre d’escampette. Cette disparition avait déjà eu un précédent dans le jardin étincelant (Christiane Rochefort, Archaos ou le Jardin étincelant, âge de gloire). Personne n’a mis beaucoup d’acharnement à retrouver les frontières perdues parce que toutes pouvaient ainsi devenir amantes instantanément sans l’ennui de sauter par-dessus les frontières. » 

 

Pauline
Je ne connais pas ce genre de mot. 
Je ne résume rien en un mot. 
Je dois manquer d’esprit de synthèse.

 

Merci à Magali et Pauline pour s’être prêtées à ce jeu de questions en résonance et pour ce que vous y partagez d’authenticité.