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Les cartes inspirées des artistes du Grand Ensemble

Les symphonies secrètes de Noémi Boutin

« La musique adoucit les moeurs », alors pourquoi se priver de quelques notes susceptibles de nous procurer harmonie et apaisement ? De son appartement, la violoncelliste Noémi Boutin nous partage une carte inspirée dans laquelle il n'est pas question de voyage à proprement parler mais d'extraits musicaux qui résonnent singulièrement pour elle. Embarquez ci-dessous avec elle pour une épopée musicale. 

Bonjour à toutes et tous,

Je vous envoie une carte, non pas une jolie carte postale d'une île paradisiaque, ni d'un village médiéval, ni de la terrasse d'un bar à tapas espagnol... mais étrangement, je vous envoie une carte de chez moi, de mon appartement dans lequel je tente d'entretenir les braises des souvenirs, des rêveries, des joies, et de voyager à ma façon.

Plusieurs routes sont possibles sur la carte de cette aventure domestique, celle du repos, celle de l'inquiétude, celle de la colère, celle de l'imaginaire, partir à la découverte d'une vie intérieure quelque peu malmenée d'habitude, balayée par la certitude qu'il y a plus important à faire, et puis la route un peu glissante des émotions, exacerbées dans ce climat social et sanitaire. Quel drôle de voyage !

Dans un premier temps, il a fallu faire le deuil de belles et grandes soirées musicales que nous avions, mes partenaires et moi, imaginées et préparées depuis longtemps, en lien étroit, humain et artistique avec des lieux, des professeurs, des enfants... Nous avions eu la possibilité, dans plusieurs régions, de mener un travail de longue haleine avec différents groupes, des professionnels, des amateurs, des conservatoires, des aventuriers, toutes générations confondues. C'est une expérience magnifique mais difficile à mettre en œuvre, et qui ne fonctionne qu'avec beaucoup d'envie et d'engagement de la part de tous. C'est donc un privilège et une fête de vivre un tel rassemblement autour d'une seule soirée, d'un thème à défendre, ou d'un compositeur à honorer. Et il est bien triste de ne pas avoir vu l'éclosion de ces événements.

Mais voilà, ces temps ci, il faut faire avec le vide, qui s'est répandu un peu partout, dans les rues, dans les agendas, dans les comptes en banque...

Moi j'en connaissais un autre, avant.

En effet, dans cette chambre d'où je vous écris, je plonge régulièrement dans le vide de l'avant-concert, de la répétition en solitaire, des projections de ce qui va se passer sur scène, du nombre de spectateurs dans la salle, de la crainte de ne pas être à la hauteur. Il y a comme un vertige parfois au moment d'affronter le silence de cette pièce. Mais dans ce vide, il y aussi la place de  « jouer » ; à la manière d'une enfant ou d'une ado, je peux remplir l'espace de mon son, inventer des histoires, m'adresser à des spectateurs imaginaires. Je peux parler à mon violoncelle, me fâcher d'une note que je rate systématiquement, ou me réjouir d'une nuance délicate que j'arrive enfin à obtenir.

Dans cette chambre, je peux vouer un culte à des compositeur.trices, admirer leur inventivité, leur humour, leur passion, m'attacher à leur histoire, leur démarche, lire entre les lignes de leurs oeuvres et devenir le medium de leurs écritures. C'est ma mission à moi, ma quête, de faire corps avec mon violoncelle, mes partitions, puis de les emmener avec moi sur les routes afin de livrer ce que j'ai compris, ressenti, assimilé de toutes ces matières ultra vivantes.

Voilà, en temps normal la gymnastique que je pratique en permanence, ces allers retours entre le dedans et le dehors. Il y a des périodes où je me sens moins souple, où je rechigne à faire le grand écart et à partir à la gare. Mais rapidement, le désir revient et je me rappelle que ces étirements me font sentir vivante, utile et donnent tout son sens à cette drôle de réalité qui est de passer toute ma vie ou presque avec un violoncelle sur le dos, et de m'entendre dire que j'aurais dû choisir la flûte. C'est bien au contact des planches et du public que je comprends mon choix.

Alors, avec cet arrêt brutal, j'ai la confirmation que ce qui m'anime depuis toujours, et qui me pousse à mettre ma vie au service de la musique, c'est de me sentir à un endroit très précieux de l'humain. Cet endroit où nous sommes unis dans la nécessité de rêver, d'espérer, de s'évader, de s'instruire, de s'élever, d'être bouleversé.e...

Alors, puisque je ne peux plus faire mon métier, je souhaite plus que jamais soutenir les réflexions qui sont menées par bon nombre de lieux et d'artistes, qui questionnent les modèles sur lesquels nous fonctionnons, et qui désirent développer une relation plus forte entre les artistes et le public, entre les artistes et les territoires. Prendre des initiatives qui tendent à créer du lien, du partage avec, en tête, des préoccupations environnementales et humaines.

Je suis très inquiète, depuis toujours, mais de façon de plus en plus urgente, de ce qui peut être excluant et clivant dans la manière de diffuser la culture. Alors j'espère de tout mon cœur que ce virus nous réveille, nous rassemble, et nous donne envie, collectivement, artistes, jeunes, vieux, connaisseurs ou profanes, élus, professionnels du spectacle, de réapprendre à aimer et à savourer, « en circuit court » , la profondeur d'une rêverie, la vibration d'une corde, une histoire à raconter, une bouchée à déguster.

Alors, en attendant d'endosser à nouveau mon compagnon de route, je vous envoie quelques images et sons qui me font voyager.

Je parlais du désir et voilà un homme qui en parle si bien :

 



Et qui dit Pierre Meunier dit Gaston Bachelard, le grand philosophe de la rêverie active, à l'accent si chantant :
 



Et pour poursuivre la méditation : 
 


Voyage dans les campagnes roumaines :
 




A cup of tea : 
 

 

et enfin, pour rigoler et parce que je suis toujours reconnaissante quand le divertissement populaire s'empare de la musique savante :
 


Qui est Noémi Boutin ? 

Après des études académiques passées au CNSMD de Paris, Noémi Boutin, dont la carrière est promise aux grands concertos, emprunte des chemins singuliers, passionnée d’aventures artistiques inédites. Elle « violoncelle » seule, en musique de chambre, joue du répertoire comme des musiques d’aujourd’hui et aime à s’associer sur scène avec circassiens, comédiens, musiciens de tous horizons et même cuisiniers ! Elle cultive un goût certain pour les dérapages et les pas-de-côté et aime à manier les mots lorsqu’ils se font absurdes ou poétiques. En 2015, Noémi Boutin fonde la Cie Frotter | Frapper qui accompagne le développement de son activité.