Parmi les trésors cachés de la littérature culinaire, il y en a un que je peine à vous dévoiler tant il appartient à ces presque-petits-riens qui soutiennent, au creux de l’intime et du doute. Le Précis de cuisine des jours heureux, voilà son nom. Robert Desnos le publia avant la Seconde Guerre mondiale. Petit traité inachevé, gorgé de vie. Il ne donne bien sûr aucune recette ; il en nomme certaines cependant. J’aime sa Soupe à l’oignon des Îles Marquises parce qu’elle me rappelle Pagnol et ses anchois des Tropiques, tout autant que le printemps qui est là, bien vivant, avec ses oignons tendus de vert et l’ail nouveau. Je vous raconterai peut-être un jour comment Rome n’aurait pas accompli son destin sans ces deux aromates. En attendant, voici une recette pour 4 personnes, une recette simple, une recette de confinement et pourtant une recette à partager et à cuisiner.
Émincez 8 bulbes de jeunes oignons. Faites-les suer avec 2 gousses d’ail écrasées, jusqu’à coloration, dans deux belles noix de beurre et une cuillère d’huile de tournesol. Ajoutez 6 filets d’anchois au sel. Suez encore quelques instants. Singez avec une cuillère à soupe de farine de sarrasin. Salez et poivrez généreusement. Déglacez d’un peu de Jasnières avant de mouiller d’1,5 l de bouillon de volaille ou de légumes. On oublie les cubes et compagnie et on redécouvre le plaisir de ce qu’est aussi vraiment la cuisine, celui du temps accordé aux restes, les carcasses et les épluchures en l’occurrence. Laissez ensuite mijoter 45 min à petits bouillons. Pendant ce temps, toastez quelques tranches de pain rassis avec un peu d’huile d’olive mélangée idéalement avec un peu d’huile de noix. Répartissez-les dans vos bols de services. Versez le bouillon cuit au-dessus. Vous pouvez bien sûr faire gratiner cette soupe avec du comté râpé et du parmesan, quelques minutes sous le gril de votre four. J’aime le goût corsé, alors je hache une partie du vert des jeunes oignons et je le mélange avec une purée d’olives noires et encore quelques anchois pour relever davantage la soupe.
Vous n’aurez peut-être pas tous les ingrédients de cette recette chez vous ; ce n’est pas grave. L’important c’est d’en bien comprendre l’esprit et de laisser le temps aussi bien aux oignons de roussir qu’au bouillon de s’enrichir. Et puis surtout, n’oubliez pas que le printemps, c’est aussi le temps de l’espérance et des amours naissantes et renaissantes alors cuisinez, comme je vais le faire, en pensant à celle ou à celui que vous aimez.
Emmanuel Perrodin, 10 avril 2020
Qui est Emmanuel Perrodin ?
Jurassien d’origine, historien de formation, toqué à 30 ans, il est passé par différentes grandes tables. Depuis 2015, ce chef nomade balade ses casseroles de musées en festivals, de repas caritatifs en happenings, piochant ses idées chez Escoffier autant que dans l’art contemporain.