Emmanuelle Bouchez – Des femmes délivrées du patriarcat
TTT – Télérama, juin 2022
« Créé au Festival d’Avignon l’été dernier, refondé à l’occasion de sa reprise, Archée offre cette fois un voyage hypnotique qui embarque aussitôt le public. Des cris dans la nuit, se répondant comme dans un rituel de reconnaissance, créent d’emblée un autre espace-temps. Puis sept femmes apparaissent. Silencieuses, discrètes, très lentes. En face à face, elles échangent leur souffle puis développent une ronde étrange où l’on se soutient sans se toucher.
S’inspirant d’un art guerrier du tir à l’arc pratiqué par des femmes japonaises, la chorégraphe-plasticienne Mylène Benoit invente sur scène une communauté féminine, détachée du patriarcat, qui traverse les époques et les civilisations. Amazones quand elles se rassemblent en cohorte. Orientales quand elles baignent dans l’intimité d’un hammam. Chamaniques, enfin, quand, enduites d’onguents, elles laissent leurs traces partout, chacune de manière insolite. Portée par le violoncelle amplifié de Pénélope Michel et rythmée par les effets lumineux de Rima Ben Brahim, cette ode au féminin a la puissance des rêves. »
Rosita Boisseau – À Avignon, Mylène Benoit plonge à la source du féminin
Le Monde, 21 juillet 2021
« Une volée d’estrades en arc de cercle relie les deux immenses platanes du cloître des Célestins, à Avignon. Une femme frappe au marteau sur un morceau de métal. La lune veille, et ça tombe drôlement bien pour le spectacle Archée, de Mylène Benoit, uniquement interprété par des danseuses sur le thème du féminin. On y entendra donc parler du sang des règles, de la mort programmée des filles dans certains pays et de la fragilité du chromosome Y. (…) Ce plongeon à la source du féminin qu’est Archée s’enroule dans une partition musicale insolite. Comme dans une forêt profonde transpercée de cris d’oiseaux et d’animaux, elle module rires, hululements, piaillements, halètements, se faufile d’un coin du plateau à l’autre avant de réunir les danseuses en cercle. Les mélopées, inspirées par les chants de gorge inuits auxquels ont été initiées les interprètes et qu’elles revisitent à leur façon, surfent sur une gamme de joie, de douleur, de colère aussi, qui dialoguent dans un jeu d’échos. Du secret que l’on chuchote à la réalité que l’on hurle au grand jour, les voix des femmes se dilatent. Le souffle se fait plus profond, qui ouvre à la liberté. »
Marie Sorbier – Sommes-nous prêts à renouer avec la beauté brute ?
I/O Gazette, 18 juillet 2021
« La beauté nait dans les cloîtres. Cet adage auquel nous croyons chaque mois de juillet a pris corps cette année entre les platanes des Célestins. La chorégraphe et plasticienne Mylène Benoit s’empare de la majesté du lieu avec maestria et propose un rite initiatique aux racines de la force du féminin. (…) La scène inaugurale séduit par sa radicalité ; dans le noir du ciel étoilé, des appels, des cris de reconnaissances déchirent le silence, résonnent en échos, enveloppent le gradin de toute part comme les louves qui reconstituent leur meute. La chorégraphe assume avec grâce de danser la force sans la masculiniser, de donner à tous ces corps de femmes, différents, un élan singulier qui ne cherche ni à singer ni à se comparer, mais qui créent, devant nos yeux, une nouvelle grammaire, une nouvelle glaise faite de sang, de peaux et de murmures. »
Alain Lipietz, spectateur – économiste et ancien député européen Europe Écologie Les Verts
Juillet 2021
« Festival d’Avignon. On commence, c’est le cas de le dire, par le magnifique « Archée », de la chorégraphe Mylène Benoit. La traduction la plus commune est tout simplement « commencement » : Èn archè èn o Logos, Au commencement était le Verbe… Sauf que non, montre ce spectacle superbe, dans mon site préféré d’Avignon, le cloitre des Célestins, scène entre deux immenses platanes sur fond d’arches romanes. Au commencement était le cri, qui peu à peu dans la nuit se fait ébauche de mélopée, au commencement était la reptation d’in-formes vivantes, qui peu à peu se fait coopération, concurrence, hiérarchie contestée, solidarité. Entre femmes.
Ne pas s’exaspérer de la lenteur initiale du premier mouvement : bientôt le spectateur un instant distrait aura du mal à reconstituer comment s’est imposée telle figure, tel motif, leitmotiv, jusqu’à l’apothéose frénétique à la fin du mouvement. Émergence, plutôt que commencement.
Au second mouvement apparaît la Parole, et comme les danseuses sont de tous les continents, elles nous parlent en toutes les langues mais se comprennent entre elles, dans l’évocation des malheurs et de la puissance des femmes.
Au troisième mouvement elles reviennent nues sur la scène et commencent à s’enduire de peinture, elles-mêmes et entre elles, marquant les murs et le sol de leurs mains, de leurs ventres, créant en même temps leur parure et la culture (paléolithique), en un tourbillon de couleurs de plus en plus éblouissant.
Sidérant et bouleversant. »
François Frimat & Mathilde Sannier – REGARDONS, ÉCOUTONS, TOUCHER L’IMAGE
Les Démêlées, numéro 8 – hiver 2022
« Nous voilà alors en communication avec ce dialogue tantôt en harmonie, tantôt en canon, au gré d’une diversité de tessitures qui accompagne une communauté s’élargissant à nous. Plus tard, ces femmes se retrouvent au centre de la scène, en bord de plateau. C’est littéralement un cercle de femmes qui se crée et démontre une puissance de solidarité et d’égalité tout en poursuivant leur œuvre vocale. Chacune leur tour, elles se placent au centre ou en marge du groupe pour devenir la principale protagoniste. Les sons libérés s’intensifient et engagent leur corps entier, plus seulement depuis la gorge mais du ventre et des tripes. Une fois cette vitalité oppressive libérée de leur être profond, elles retrouvent le calme et commencent alors un ballet de tendresse entre elles. Les danseuses sont accompagnées des deux musiciennes qui prennent part entière à la scénographie et à la performance scénique (…)
Il ne s’agit pas de revenir aux temps archaïques mais de se souvenir que pour bander son arc, on doit se représenter la cible que l’on veut atteindre comme si elle était dans notre dos. Archée nous a semblé parfaitement tendu vers sa cible. »