PODE SER
La danseuse comme boxeuse
Que les choses soient claires : Leïla Ka n’est pas la fille de Joseph K., le petit employé de banque qui se retrouve embarqué dans une drôle de galère dans Le Procès de Franz Kafka, pas plus que celle de Kaa, le python réticulé qui devient le poto de Mowgli dans Le Livre de la jungle de Rudyard Kipling, même si elle possède autant l’opiniâtreté et la combativité du premier que la souplesse et l’agilité du second...
Leïla Ka est une jeune chorégraphe issue du mouvement « hip hop » qui, rapidement, va métisser son langage et mélanger tous les genres (sa rencontre avec Maguy Marin n’y étant sans doute pas pour rien). C’est d’ailleurs après avoir travaillé avec la star internationale que cette alchimiste du mouvement créera son tout premier solo mixant danses urbaines, danse contemporaine et une bonne dose de théâtralité afin d’illustrer toute la complexité et la difficulté d’être : Pode ser, donc...
Dans cette pièce distinguée aux festivals de Stuttgart, de Cagliari, de Gdansk et de Cologne, vous la verrez pénétrer dans l’arène d’un pas ferme et volontaire avant d’engager son corps gracile et rageur dans une bataille contre l’obscurité, contre l’air ou contre lui-même, sur la musique lyrique et romantique de l’opus n° 100 de Schubert : un spectacle aux allures de combat de boxe, un solo en forme de coup de poing, un instantané beau comme un uppercut, à l’issue duquel cette princesse furieuse s’en sortira sans une égratignure, mais où c’est vous qui serez totalement sonné, groggy, knock-out...
MASCARADES
Madame 100 000 watts
Mami Wata est une déesse du culte vaudou qui partage avec la petite sirène de Walt Disney la caractéristique d’être une créature hybride, mi-femme mi-poisson, vivant à la frontière entre deux mondes. Mais la ressemblance s’arrête là, car Mami Wata est considérée comme un être monstrueux par les adeptes du vodoun, en raison de son grand pouvoir de séduction, de ses moeurs délétères et de sa sexualité fort débridée, qui en font le symbole des bas-fonds et, accessoirement, de la mort, si l’on s’avise de refuser de satisfaire à ses caprices...
La danseuse et chorégraphe Betty Tchomanga vous proposera une vision très originale de ce personnage ancestral puisque, dans son short en jean élimé et son tee-shirt blanc un peu court, elle sautera sur de la musique électronique inspirée de la scène gqom d’Afrique du Sud (une variante de la house) en faisant sourdre de sa gorge des borborygmes et des onomatopées et en poussant sa voix aux limites du spectre sonore, accédant ainsi au très grave comme au très aigu...
Elle sautera ? Oui. Et ce mouvement répété ad libitum entraînera la silhouette de Betty Tchomanga dans une infinité de métamorphoses. C’est donc en sautant (ou en dansant : c’est pareil, puisque danser se dit saltare en latin, qui provient de saltus, le saut) qu’elle parcourra toute l’étendue qui sépare la surface des profondeurs, ou la danse de la transe, ou Betty Tchomanga de Mami Wata, ou bien encore votre position de spectateur de celle de témoin d’une expérience unique...